CHAPITRE X
O’Connor rejoignit Seymour sur son perchoir. Il se cala contre un rocher et regarda à son tour.
Dans la clarté laiteuse qui inondait la vallée, l’astronef ressemblait à un immense iceberg surgi inopinément. Le silence continuait de régner, toujours aussi pesant, comme si les sons eux-mêmes avaient cessé d’exister.
— Mais enfin, qu’attendent-ils ? demanda O’Connor, les deux mains crispées sur la crosse de son arme. On ne va tout de même pas passer la nuit ici ?
Seymour inclina la tête.
— En effet, murmura-t-il. Je me demande ce qu’ils doivent être en train de mijoter. Tout cela est bien étrange.
— On pourrait peut-être tenter une sortie ?
— Aucune issue derrière nous. Nous sommes obligés de nous lancer à découvert. Certes, c’est un risque à prendre, mais…
Il n’alla pas au bout de sa phrase. A cet instant, une boule d’énergie jaillit de l’astronef, embrasa la vallée d’une lueur fulgurante, puis s’abattit sur les rochers à quelque deux cents mètres du refuge.
Il y eut une explosion gigantesque, précipitant dans les airs des tonnes et des tonnes de roches incandescentes en même temps qu’une onde de choc projetait Seymour et O’Connor en bas de leur perchoir, avec une force inouïe.
Ils se redressèrent tant bien que mal, réprimant un début de panique, tandis que surgissaient de l’abri les autres membres de l’équipage.
Mervin se précipitait déjà lorsqu’une deuxième boule d’énergie frappa la roche à une centaine de mètres à peine.
D’un même élan, les astronautes avaient plongé au sol, échappant miraculeusement à l’avalanche de pierres qui s’abattit autour d’eux.
Il était visible que l’agresseur avait rectifié le tir, et le pire était à craindre si ça continuait.
Seymour cria aussitôt :
— Ne restez pas là… Dispersez-vous… le long du défilé… Vite !
Il vit ses compagnons s’éparpiller autour de lui tandis qu’il rampait vers la sortie du défilé.
Une troisième décharge faucha la masse noire d’un rocher en pain de sucre et le sol trembla comme sous l’effet d’un violent séisme.
Seymour reprit sa reptation, atteignit une échancrure, se cala et regarda dans la vallée, en direction de l’astronef.
Plusieurs minutes s’écoulèrent ainsi dans une attente fébrile, puis soudain, dans l’oculaire de ses jumelles à infrarouge, il aperçut des silhouettes humaines qui émergeaient du sas de la fusée.
Il en compta cinq qui s’engageaient le long des échelons de fer, l’arme à la bretelle.
Il crut comprendre le but de cette manœuvre. Certains d’avoir atteint leur but, les mystérieuses créatures arrivaient à présent afin de s’assurer qu’il ne restait aucun survivant parmi les Terriens.
D’un geste sec, l’Agent Spatial brancha radio portative et se mit en contact avec ses compagnons.
Pour l’instant, personne ne manquait à l’appel, et cela le rassura.
— Ils arrivent, leur annonça-t-il ; ne bougez surtout pas. Placez-vous à l’entrée du défilé, surveillez-les et laissez-les venir. Ne tirez qu’à la dernière extrémité. Et surtout, pas de quartier.
D’après les instructions de Seymour, les créatures inconnues qui allaient à découvert se placeraient automatiquement sous le feu des armes.
On devait donc profiter de l’effet de surprise. Sans bouger, Dan continua d’observer les silhouettes qui poursuivaient leur avance en direction du défilé.
Trois minutes s’écoulèrent encore, trois minutes lourdes, pesantes, qui paraissaient des siècles, puis soudain Dan rebrancha sa radio et donna le signal.
*
* *
Les rafales thermiques éclatèrent avec un bruit d’enfer et des traînées pourpres balayèrent la nuit, soulevant des geysers de poussière et de cailloux devant la ligne des assaillants.
Seymour actionna son fulgurant en écho et, dans le feu croisé, les silhouettes tentèrent un mouvement de recul.
Mais il était déjà trop tard. Deux nouveaux jets de force s’abattaient sur eux, avec plus de précision cette fois, et deux créatures s’affaissèrent en poussant des hurlements épouvantables.
Seymour en cadra une troisième dans son viseur et tira. Il y eut un nouveau cri, le hurlement d’une bête plutôt que le cri d’un homme, puis la créature tomba d’une masse, la tête en avant.
Les deux dernières déchargèrent leurs armes un peu au hasard, mais la panique faussait le tir.
C’est O’Connor qui eut raison d’elles, de deux courtes rafales bien appliquées.
Seymour alors se dressa. C’était fini, et les cinq cadavres éparpillés devant l’entrée du défilé témoignaient de la rapidité du combat impitoyable qui venait de se livrer en l’espace de quelques secondes à peine.
Il s’élança au-devant de ses compagnons, tandis que la haute stature d’O’Connor se dressait devant lui. Dans l’éclairage lunaire, sa grosse figure souriait de satisfaction.
— Navré, commandant, s’écria-t-il, mais nous ne pouvions guère faire mieux.
Seymour lui envoya une bourrade puis se tourna vers ses autres compagnons. Il eut un léger froncement de sourcils.
— Où est Tahoki ?
Cora Perkins s’avança avec un léger haussement d’épaules.
— Il s’est enfui, annonça-t-elle, dès les premiers instants de la bataille.
— Enfui ? Ah oui, je vois. Nous avons choqué sa petite âme pacifique et vertueuse. Mais…
Il marqua une hésitation, crut bon de ne pas poursuivre, puis indiqua la fusée.
— Voilà, dit-il, le meilleur cadeau que l’on pouvait nous faire. Mais auparavant, j’aimerais quand même jeter un coup d’œil.
Il prit la tête du groupe, franchit l’ouverture et déboucha dans la vallée. Les cadavres achevaient de se vider de leur sang et Mervin, qui venait de s’agenouiller, poussa un grognement sonore.
— Eh, commandant ! Eux aussi portent des uniformes koboriens, du 4e secteur. Ça, par exemple !
Il disait vrai. Les uniformes de Kobor étaient facilement reconnaissables sous l’éclat de la petite lampe portative que Mervin promenait d’un corps à l’autre.
Intrigué, Seymour se pencha à son tour.
— De mieux en mieux, dit-il au bout d’un instant. Regardez, aucune erreur. Ce sont les gars que nous avons rencontrés dans la taverne de Perhi-Kho.
— Oui, je les reconnais, approuva Lurbeck en fourrageant dans sa tignasse. Ce sont eux, en effet. Celui qui est à mes pieds est sans doute le chef, je l’avais déjà repéré dans la taverne.
C’était un humanoïde d’assez grande taille, au visage énergique, taillé à coups de hache. Il conservait dans la mort une dignité et une noblesse peu communes. Rien, absolument rien, ne les différenciait d’une créature terrestre. Mais le problème était de savoir quelles pouvaient être ses origines.
*
* *
Seymour se redressa. Sans un mot de plus, le front barré d’une longue ride, il reprit sa marche en direction de la fusée.
Malgré tout, ils se méfiaient tous et avaient conservé l’arme au poing, attentifs, avançant avec précaution, déployés en tirailleurs.
Mais le silence régnait toujours autour d’eux. A bord de la fusée, rien ne semblait bouger.
Parvenus devant les échelons, ils jetèrent un regard. Le sas était largement ouvert. Il était probable que ces êtres mystérieux n’avaient laissé personne à bord, certainement trop confiants dans le succès de leur attaque-éclair.
Seymour et O’Connor se risquèrent les premiers, les sens en éveil, prêts à tirer à la moindre alerte.
Ainsi qu’ils s’y attendaient, l’astronef était vide, et, dès que tout le monde se fut regroupé dans la salle de pilotage, Mervin donna libre cours à sa stupéfaction.
— Mais où diable ont-ils bien pu piquer cet appareil ? Il ne provient pas des chantiers de Kobor. Tout cela est de fabrication terrienne.
— Commandant !
La voix de Lurbeck semblait sortir des profondeurs d’un abîme. Sa main tendue désignait un nom inscrit en lettres lumineuses au-dessus du tableau de bord.
Un nom qui glaça le sang dans les veines de Seymour lorsqu’il se retourna d’un bloc.
— Grands Dieux ! réussit-il à murmurer.
Il n’eut pas le courage de prononcer le nom. Il avait l’impression que, devant lui, les lettres de feu dansaient un ballet infernal :
« L’Encelade » !